Nommé rapporteur pour avis sur les crédits de la mission Médias, livre et industries culturelles, je suis intervenu en commission des Affaires culturelles et de l'éducation afin de présenter les conclusions de mon rapport sur cette partie du budget 2024 du gouvernement.
Commission des Affaires culturelles et de l'éducation - mercredi 25 octobre 2023
Mon intervention
Madame la Présidente,
Madame la ministre,
Mes chers collègues,
Dans les grandes masses budgétaires du projet de loi de finances, la mission Médias, livre et industries culturelles ne pèse, pour ainsi dire, quasiment rien, surtout si on la compare à la mission Enseignement scolaire, dont nous avons examinés les crédits la semaine dernière : 86 milliards d’euros d’un côté, 736 millions d’euros de l’autre.
Naturellement, une telle comparaison trouve rapidement ses limites. Les crédits dont l’examen m’a été confié, pour la deuxième année consécutive, portent des enjeux fondamentaux, pour la vie économique, démocratique et culturelle de notre pays.
Le soutien financier que la Nation consent à l’égard des secteurs stratégiques que sont la presse, la musique, le cinéma, le livre, est plus que jamais justifié, dans un contexte d’inflation persistante, d’une part, et de bouleversement majeur des modes de création, de diffusion et de rémunération, d’autre part.
L’État ne peut pas tout, mais en l’espèce, il peut et doit faire beaucoup : les entreprises soutenues par la mission ne sont pas de simples opérateurs économiques soumis à la loi du marché.
Ils sont également des acteurs d’intérêt général, qui évoluent dans un environnement de plus en plus concurrentiel et mondialisé, où des plateformes étrangères, dotées d’une force de frappe financière considérable, entendent imposer leur loi. Un seul chiffre suffira à en prendre la mesure :
L’an dernier, Netflix a investi 17 milliards d’euros dans la production de contenus originaux, contre 440 millions pour France Télévisions et 250 millions pour Canal Plus.
S’agissant de la presse et des médias, la situation demeure difficile. Le choc de la crise sanitaire s’est ajouté à une crise déjà ancienne, qui consiste en un effondrement du lectorat et des tirages papier, que les aides à la transition numérique des titres ne pourront suffire à compenser.
La diffusion de la presse continue de reculer en 2022 et les recettes publicitaires, notamment du fait de la concurrence des plateformes, peinent à se rétablir.
Une légère amélioration est à noter pour 2022 mais leur niveau demeure inférieur de près de 5 % à celui de 2019, avant la crise sanitaire. Le dernier choc en date est celui de la crise inflationniste : le prix de la tonne de papier est passé de 400 euros en 2021 à 1000 euros.
S’il devrait redescendre à 800 euros en moyenne sur l’année 2023, ce prix élevé continue de menacer certains titres structurellement fragiles. Cette situation justifie pleinement la création du fonds de soutien doté de 30 millions d’euros.
Pour ma part, je renouvelle la proposition que j’avais formulée avec ma collègue Violette Spillebout l’an dernier, à savoir l’extension du pass culture aux abonnements à la presse écrite, toutes catégories confondues.
Ce sont les jeunes qui lisent le moins la presse, alors même que celle-ci constitue un rempart contre les pratiques de désinformation, si dangereuses pour l’émancipation de notre jeunesse et la cohésion sociale.
Les crédits des aides à la presse seraient stabilisés en 2024. La réforme du postage et du portage se poursuit et il est encore trop tôt pour en apprécier pleinement les effets. Pour ma part, je ne suis pas défavorable à l’incitation au portage.
Encore faut-il s’en donner les moyens. La fragilisation de la filière des vendeurs colporteurs de presse, de ce point de vue, est très préoccupante, du fait de l’augmentation des coûts de l’énergie et du transport.
Par ailleurs, la création des ZFE ne leur facilite pas la tâche. C’est vraiment le moins que l’on puisse dire ! J’ai également été alerté sur la problématique de la distribution de la presse dans les outre-mer.
Une aide au pluralisme des titres ultramarins, dotée de 2 millions d’euros, a été instituée en 2021. Cependant, elle ne vise pas à soutenir la distribution de la presse nationale dans ces territoires. Les aides à l’impression numérique locale sont utiles mais insuffisantes.
L’aide au pluralisme des titres ultramarins doit donc être renforcée et inclure l’aide à la distribution dans les territoires d’outre-mer. Toujours à propos de la presse, les états généraux du droit à l’information seront l’occasion de réfléchir à une refonte globale des aides, qui sont actuellement nombreuses et parfois difficilement lisibles.
L’introduction de nouveaux critères pourrait être envisagée. J’en viens maintenant aux crédits du programme Livre et industries culturelles, qui bénéficie d’une hausse en 2024. Ces nouvelles dotations ont vocation à financer le plan national de numérisation de la presse ancienne et la stratégie en faveur de la lecture dans les territoires.
Les besoins sont énormes. S’agissant du financement du Centre national de la musique, j’ai eu l’occasion de prendre connaissance des résultats de l’évaluation réalisée par le CNM des deux crédits d’impôt dont il assure la gestion.
Sans rentrer dans le détail, je considère que ces résultats sont satisfaisants. Je suis donc favorable à la prorogation anticipée des crédits d’impôt. S’agissant du financement du CNM, je regrette, comme beaucoup d’entre vous, les atermoiements qui durent depuis maintenant plusieurs mois.
Le secteur du streaming par abonnement est en plein essor et représente désormais 56 % du chiffre d’affaires de la musique enregistrée. Cependant, son modèle économique n’est pas arrivé à maturité.
Nul ne conteste le besoin de financement du CNM, c’est sur les modalités que nous divergeons. Je considère que nous devons protéger les acteurs les plus modestes, et ceux qui ne sont pas encore parvenus à la rentabilité.
C’est pourquoi le scénario d’une contribution obligatoire des plateformes gratuites, comme YouTube et Tik Tok, me semble le plus cohérent, d’autant plus que ces plateformes rémunèrent peu les contenus, contrairement aux plateformes payantes.
Dès lors, une augmentation du taux de la taxe sur les services vidéo (TSV) me semble la meilleure option. Une taxe sur les services de streaming payant pourrait être envisagée ultérieurement, lorsque ces plateformes auront consolidé leur modèle économique.
Enfin, le scénario d’une contribution volontaire des acteurs de la musique enregistrée paraît irréaliste, seulement 5 millions d’euros étant identifiés. Je conclus avec la filière cinématographique.
La fréquentation des salles connaît une amélioration sensible sur les huit premiers mois de l’année et nous pouvons espérer renouer avec les 200 millions d’entrées sur l’année. La part de marché des films nationaux est la plus élevée d’Europe : 41 %. Globalement, le cinéma français se porte donc bien.
Cependant, deux récents rapports sénatoriaux et un rapport de la Cour des comptes ont mis en évidence le caractère perfectible, et c’est le moins que l’on puisse dire, du fonctionnement du CNC, notamment sur le volet de l’attribution des aides.
Les aides sélectives du CNC financent trop de films ne trouvant pas leur public. Un chiffre l’illustre bien :
entre 2011 et 2018, sur les 574 films ayant bénéficié de l’avance sur recettes, seuls 12 ont généré des recettes de guichet supérieures au coût total des œuvres, soit 2 % des films.
Alors entendons-nous bien : le soutien à la diversité de la création a un coût, et le CNC n’aurait pas de raison d’être, si, seuls des films rentables avaient vocation à être soutenus.
Néanmoins, le schéma d’attribution des aides mérite d’être révisé. Enfin, j’ai choisi de consacrer la partie thématique de mon avis budgétaire à la visibilité des chaînes de télévision françaises sur les équipements connectés.
En réalité, je devrais plutôt parler du risque d’invisibilisation croissante de notre audiovisuel, public comme privé. Il s’agit des interfaces d’accueil des téléviseurs connectés et des FAI, des boîtiers TV connectés, des télécommandes et des magasins d’applications.
Les usages évoluent très vite et il est bien loin le temps où les Français n’avaient le choix qu’entre quelques chaînes de la TNT.
Certes, la télévision demeure un média puissant mais la réception de la TNT ne cesse de décroître, quand la consommation de vidéos à la demande augmente de façon exponentielle.
Aujourd’hui, près de 90 % des foyers possèdent un téléviseur en capacité de recevoir la télévision et des services de vidéo à la demande via une connexion internet.
Les boutons de numérotation disparaissent progressivement des télécommandes des Smart TV et les chaînes de télévision sont de moins en moins bien référencées sur les interfaces d’accueil, où les grandes plateformes étrangères ont désormais la part belle : Prime Video, Disney+, Netflix, YouTube, etc.
France Télévisions, TF1, Canal Plus, M6, ne sont pas sur le point de disparaître de nos écrans et leurs programmes sont toujours connus et appréciés des Français.
Mais il est de notre responsabilité de garantir la « découvrabilité » des contenus audiovisuels français, à l’heure où les plateformes investissent massivement dans la création de contenus originaux, qui séduisent de plus en plus les jeunes générations.
La directive SMA a permis aux États membres de prendre des mesures afin d’assurer une visibilité appropriée pour les services de médias audiovisuels d’intérêt général.
Il revient à présent à l’Arcom de définir le périmètre des services d’intérêt général, ainsi que les modalités de leur visibilité appropriée.
Pour ma part, je suis favorable à la qualification de SIG pour l’ensemble des chaînes de la TNT.
Il est indispensable que les deux consultations conduites par l’Arcom s’achèvent rapidement. Enfin je serais personnellement favorable à ce que des mesures de visibilité appropriée soient définies à l’échelle européenne, comme le propose l’Union européenne de radio-télévision.
Cela aurait le mérite de garantir une application efficace de ces mesures, le marché des téléviseurs étant un marché a minima européen.
Enfin si nous nous projetons dans le futur, l’accès aux téléviseurs connectés via le wifi ne passant plus par les FAI va sans doute se développer.
L’ARCOM n’aurait alors plus de prise pour obliger une visibilité appropriée des chaînes Françaises.
Nous devons nous atteler dès maintenant à une réflexion sur la défense de notre souveraineté audiovisuelle sinon adieu TF1, France Télévisions, M6, Canal+, nous n’aurons plus le choix qu’entre Disney, Amazon, YouTube, Netflix sur nos télés connectés car ces GAFAN auront pu s’offrir à coup de milliards de dollars leur référencement auprès des constructeurs de téléviseurs.
Je vous remercie.
Comments